Préambule
Entre ruines de bagne du 19ème siècle et centre spatial ultra moderne, la Guyane, « terre d’eaux abondantes » en Arawak, entretient son ambivalence entre tradition et modernité.
Avec sa forêt et ses mines d’or, elle véhicule aussi toujours mythes et légendes et se plait à cultiver les paradoxes. Le travail aérien en hélicoptère n’échappe pas à cela.
En une trentaine d’année, ce département parmi les moins peuplés s’est retrouvé un des mieux dotés en hélicoptères civiles ou publics. On dénombre en 2014 quatre sociétés de travaux héliportés, deux hélicoptères pour le SAMU, une section aérienne de Gendarmerie avec deux appareils et une base de la Sécurité Civile avec son Dragon. On peut ajouter aussi la base 367 de l’armée de l’Air qui dispose de 5 Puma et 3 Fennec.
Dès que l’on quitte la bande littorale large de quelques kilomètres et longue de 350, on se retrouve en forêt amazonienne primaire, laquelle couvre 90% de ce grand territoire équivalent à un sixième de métropole (86000 km²). Avec un réseau hydrologique très dense et de nombreux reliefs, la forêt est tout de suite impénétrable. Il n’y a plus de route et rares sont les pistes. Les trajets en pirogues, toujours très pratiqués, restent longs et encore souvent hasardeux.
Malgré plusieurs aérodromes existant le long des frontières avec le Surinam ou le Brésil et dans le centre, seul l’hélicoptère peut couvrir rapidement en tous points et par tous temps le plus grand département français pour transporter rapidement hommes et matériels.
Si l’on comprend facilement le besoin d’hélicoptère pour les services publics de secours dans un tel environnement, la présence de quatre sociétés privées de prestations héliportées avec 12 appareils interroge.
Certes, il y a les organismes publics, les municipalités et les entreprises qui œuvrent pour ces derniers, mais avec uniquement 22 communes et 95% des habitants dans la bande littorale, ils ne sont que le second affréteur d’hélicoptères.
Le principal client pour celui dont le nom le prédestinait à ce pays, l’agile et infatigable Ecureuil AS350, c’est l’exploitant de mine d’Or.
Le premier site aurifère découvert en 1855 entraina une ruée vers l’or au début du vingtième siècle avec l’exploitation de milliers de mines pendant plus de 130 ans le long des centaines de rivières. La pirogue était alors l’unique engin de transport. Dans les années 80, un opérateur de travaux héliporté, Heli-Inter, reprit et développa l’activité créée par 2 pilotes, ce qui permit l’ouverture de nombreuses nouvelles mines éloignées des cours d’eau navigables.
Aujourd’hui, plus de 75% des sites miniers n’existeraient pas sans l’hélicoptère, seul moyen de transport possible en personnel et surtout matériel. Avec une moyenne de 100 à 150 mines officielles et 70 sociétés d’exploitation, on comprend donc mieux le marché de plusieurs milliers d’heures de vol annuel faisant tourner les AS350 B2 et B3 basés autour de l’aéroport de Cayenne. Même les mines ayant un accès par pirogue ou piste carrossable ont recours à l’hélicoptère pour des approvisionnements rapides de pièces détachées, de vivres ou médicaments et pour des retours de production. Pour une mine uniquement accessible par les airs, l’hélicoptère est le troisième poste de dépense avec le transport de personnel, de vivres et de gasoil. Rien que ce dernier peut représenter 50 heures de vol par mois.
Le « paradoxe hélico » de Guyane se retrouve aussi dans les conditions de vol où l’extrême et la démesure sont quotidiens:
- Quand une mise à disposition sur un site, c’est-à-dire le trajet entre la base de l’appareil et la zone de départ de travail est de quinze minutes dans l’hexagone, comptez au moins le double, soit 110 km, près de l’équateur français.
- Quand un acheminement (rotation) dure 4 à 6 mn pour l’aller-retour à un refuge des Alpes, comptez plutôt de 30 mn à 2h30 au dessus des arbres.
- Quand un bon pilote fait 150 rotations par jour le long d’une voie ferrée en métropole, deux rotations de 2h30 avec 800 kg à l’élingue jusqu’à Trois Sauts, le village le plus au sud-est, ce n’est pas si mal.
- Quand 5h au manche tous les jours vous épuisera à Courchevel, essayez donc 8 à 10 h au dessus du « persil » amazonien…
Si vous rajoutez l’humidité importante dix mois sur douze, la chaleur toute l’année, des grains météo très fréquents, de la pluie drue et un plafond souvent très bas, de nombreux volatiles, un repérage visuel difficile, des terrains d’atterrissage souvent exigus et difficiles à trouver, vous obtenez un cocktail très exigeant.
Mais si vous intégrez que vous volez souvent sans la moindre zone de posé possible à moins de 5 minutes, soit presque que 20 kilomètres, alors bienvenu dans la parfaite définition de l’hostilité aérienne.
J’ai pu découvrir la réalité des vols exigeants et engagés de Guyane grâce à Michel Beaujard, pilote émérite qui sévit depuis 1992 au dessus des arbres et rivières. Je l’ai accompagné une semaine comme helpeur en novembre 2014 et me devais de partager cela avec vous. En préambule, je vous invite vivement à découvrir le parcours étonnant de ce pilote hors norme, impressionnant de passion et d’énergie, en allant voir l’article portrait que j’ai fait sur lui en mai 2014.
Depuis l’automne 2013, l’appel de la forêt l’a fait revenir avec sa famille à Macouria, à 10km à l’ouest de Cayenne où il est installé sur un ancien terrain ULM avec sa piste de décollage, un grand hangar et une confortable maison. Il dirige avec son ami et associé Thierry Roche une société de prestations de pilotage : Pilot’Air Aviation. Il travaille pour différentes sociétés de prestations héliportées et pour des clients qui louent coque nue des appareils disponibles en Guyane comme l’AS350 B2 et le prennent comme pilote.
Ses missions sont très variées : transport de personnes et matériels en cabine, transport de charges à l’élingue comme fûts et touques de carburants, cuves, groupes électrogène, morceaux de machines, poteaux, tuyaux…Michel est réputé pour son pilotage mais aussi pour son enthousiasme et sa disponibilité.
Arrivée : lundi 3 novembre
Mon vol Air France en A340 s’achève avec les vingt dernières minutes dans le cockpit, atterrissage compris en mode manuel ! Merci au pilote.
Michel est en mission pour Yankee Lima Hélicoptères dont le siège est proche de l’aéroport. Je l’attends dans leurs locaux après avoir été gentiment accueilli par le mécanicien Christo. Leur B3 F-HGMC est dans le hangar avec un AS355 de l’armée en maintenance.
Sur le tarmac de l’aéroport, Un Dauphin et un Ecureuil de HDF bleus me tournent le dos. Deux Ecureuils de même couleur jaune font jeu de miroir. Celui de face est le B2 en location coque nue que Michel est souvent amené à piloter et utilisera avec moi. En fin d’après midi, une fois Michel arrivé, le B2 devient mon taxi pour rejoindre à 120 nœuds et en 4 mn la base de Pilot’Air Aviation à Macouria, en limite de tombée de nuit.
Jour 1 : mardi 4 novembre
Nous sommes sur le pied de guerre de bonne heure pour un aller-retour de ravitaillement par la route à l’aéroport avec cuve et fûts et pour préparer la machine. A cette époque, Michel n’avais pas encore reçus l’autorisation d’avoir sa propre citerne. A 10h30, le principal client du jour arrive avec du personnel et du matériel. Il s’agit de Raphaël Giovanetti, directeur de la mine d’or de Korosibo situé à 130km plein ouest. C’est un fidèle commanditaire de mission pour Michel. Vivres, pièces détachées et matériels divers sont méticuleusement chargés dans les soutes.
A 11h30, les 4 passagers et le pilote m’attendent pour 35 mn de vol. Nous quittons vite la zone civilisée de la bande littorale pour survoler la forêt vierge entre nuages, grains et soleil. Au bout de dix minutes, nous survolons l’immense et magnifique étendue d’eau du barrage de Petit Saut, la plus grande retenue artificielle d’eau douce de France avec ses 500 km².
Après une grosse demi-heure, nous arrivons à la mine, grosse clairière isolée de tout. Suite au déchargement, nous sommes accueillis pour déjeuner sous les grandes tentes des désormais anciennes installations de la mine. Raphaël me fait ensuite visiter les nouveaux baraquements en « dur », en bois exotiques débités sur place avec une scierie créée pour l’occasion. Les dortoirs et les douches sont déjà en fonction et la cuisine et sa salle de repas en cours de finition. Tout est parfaitement opérationnel depuis et le confort pour le personnel a franchi une sacrée marche pour répondre aux standards désormais imposés pour les mines officielles. J’ai également le droit d’accéder à un crible en fonction et de découvrir une petite pépite d’or !
En début d’après midi, Michel fait une rotation pour aller chercher une cuve de gasoil de 1000 litres livrée sur la piste la plus proche à une vingtaine de kilomètre au nord,
A 15h, nous repartons avec Raphaël et un passager en direction du barrage de Petit Saut situé à 55km à l’Est-Nord-Est. Un survol non-stop de 16mn de forêt nous permet de récupérer du matériel que Michel n’avait pas pu prendre la veille pour St Elie, commune situé au centre-nord de la Guyane. Nous faisons donc un gros crochet de 40 km vers le sud Ouest pour réaliser notre livraison dans un cadre de vol splendide, entre eaux du lac et végétation toujours aussi dense. L’arrivée sur la DZ de St Elie, très exigüe, fait s’exprimer la maîtrise du pilote. A 15h45, nous repartons pour 100 km vers la base avec la traversée complète d’Ouest en Est de l’étendu de Petit Saut.
Cette première journée déjà sacrément bien rempli et très dense en images n’est pas finie pour autant avec le nettoyage de l’appareil, son ravitaillement et la préparation du lendemain. Je suis alors content de gagner un bon lit avec la clim et la moustiquaire…
Jour 2 : mercredi 5 novembre
Nous partons à 10h plein sud sur 80km pour rejoindre une ancienne mine d’or desservie par la piste de Bélizon, longue de 70 km. Notre destination, au kilomètre 48 est en plein milieu de nulle part à 500m de la piste principale, parfaitement carrossable. Deux mines en activité ne sont cependant pas très loin, chacune dans une direction, à moins de deux kilomètres. Cette ancienne mine va servir de base avancée pour effectuer des rotations de très longues distances vers la commune de Saül (110 km), en plein centre du département et le village de Trois Sauts (230 km), tout en bas au sud-est.
La mission, prévue sur plusieurs jours, est commanditée par Getelec, société locale qui a obtenu un gros marché d’une trentaine de lampadaires solaires pour les deux communes après celui pour St Elie. Cela nécessitera 5 jours de rotations pour acheminer les poteaux, les 60 batteries de 27 kg, les 30 panneaux solaires de 1.2m*1.2, les 30 supports en tôle et plusieurs tonnes de sable et de ciment en sac. Nous avons rendez-vous avec un semi-remorque et un camion-grue à 11h. A midi, ils ne sont toujours pas là et les téléphones sont inopérants.
Nous attendons patiemment avec les bruits des oiseaux dans un cadre agréable mais très chaud ! Heureusement, c’est la période « sèche » et les moustiques plutôt rares. Enfin, les camions arrivent. La journée étant déjà bien entamée, les éléments transportables en cabine sont déchargés rapidement avec le bras grue pour que Michel puisse attaquer les rotations les plus rapides à vitesse maximal. Il commencera par Saül dont l’aller-retour avec le déchargement lui prendra 1h30, ce qui lui permettra d’en faire deux.
En fin d’après midi, le retour ne sera pas direct. Nous partons au nord-ouest pour rejoindre St Elie à 100km, déjà visité la veille, pour aller récupérer 3 ouvriers de Gételec qui ont fini leur chantier de lampadaires sur place. Après une belle arrivée au dessus de la grande mine locale, nous embarquons rapidement les personnes et leurs sacs pour un nouveau retour à travers la retenue de Petit Saut. Au milieu de notre survol aquatique accompagné d’une magnifique lumière, nous ferons un crochet de quelques minutes à une autre mine pour récupérer un sac de « matériel » urgent avant de rejoindre le littoral plus accueillant et la base.
Jour 3 : jeudi 6 novembre
La matinée commence par un aller-retour au GPAR, le pétrolier de l’aéroport, pour remplir des fûts de Kérosène que Gételec doit nous livrer à l’ancienne mine du PK48 de Bélizon. Puis, nous effectuons un nouveau trajet plein sud en frôlant l’aéroport Félix Eboué et en survolant la région de Cacao, dénommée « le jardin » de la Guyane pour ses productions maraichères.
Michel commence par réaliser deux rotations « cabine » puis fait la première à l’élingue pour Saül avec 6 poteaux de plus de 5m et 600 kg. Il a développé une technique plutôt efficace pour pouvoir voler avec les poteaux dans l’axe de la machine à environ 70-80 nœuds (130-140 km/h) : nous équipons l’arrière de la charge de 2 troncs de « bois canon », espèce de fin palmier très élancé qui pousse comme du chiendent en bordure des forêts pour obtenir un effet girouette stabilisant.
A chaque rotation, j’essaye de combiner ma fonction d’helpeur avec les images à faire et ça me fait bien transpirer. Pour les longues attentes, une fois les bois canon coupés et les piqures de fourmis apaisées, je m’aménage un abri avec fûts et bâche car le soleil tape vraiment dur. J’ai des vivres et beaucoup d’eau avec moi, un poncho et une lampe frontale. En cas de non retour de Michel à la nuit, je dois aller rejoindre une des 2 mines proches pour me faire héberger.
Autant dire que je suis à chaque fois soulager quand j’entends enfin le sifflement de la turbine Ariel 1D1 et assiste au retour « efficace » du B2. Une dernière rotation cabine, de plus de 2 heures cette fois pour Trois Sauts, situé à 230 km plein sud nous fera rentrer en limite de nuit.
Jour 4 : vendredi 7 novembre
Michel a une nouvelle mission pour la mine de Korosibo mais ne peut m’emmener, faute de place à bord. Il doit faire des rotations de touques de gasoil de 1200 à 1300 litres entre la piste de la Montagne Noire et la mine distante de 22 km. La piste se situe entre Kourou, en bord de mer et la mine. Les touques sont remplies en bord de piste à partir d’un camion citerne muni d’une pompe.
Les touques sont élinguées très court, juste un mètre. C’est le minimum pour être accrochées avec l’appareil à deux mètres du sol par une personne en dessous. Cela permet une excellente stabilité en vol et des vitesses de croisière au moins égales à celle recommandée pour l’appareil en levage de charges externes (80 noeuds). Une fois posée sur un tertre à la mine, les touques sont aussitôt vidées à l’aide d’une motopompe dans de bien plus volumineuses poches souples officiant comme cuves permanentes pour toute la consommation de la mine. La première rotation se fait sous la pluie au début puis le temps s’est nettement amélioré pour les suivantes.
Quant à moi, je commence ma journée par aller chercher à l’aéroport du kérosène avec la cuve sur remorque de Michel. J’en profite alors pour rendre visite à la Sécurité Civile basée sur place. Je suis gentiment accueilli par Mathieu Laouenan, un des trois pilotes d’astreinte ce jour là, qui me présente les installations toutes neuves de cette nouvelle base créée en juin 2014 et l’EC145 bleu, blanc et rouge à cette époque.
Complémentaire du SAMU comme en métropole, la Sécurité Civile intervient avec les pompiers sur des secours primaires tel que recherches de personnes, accidents ou malaises sur la voie publique et sauvetage en mer y compris de nuit et en IFR.
Ancien pilote de la base de l’armée de l’air voisine, Mathieu connais bien la Guyane et sa forêt pour y avoir suivi le stage de survie du réputé CEFE, le centre d’entrainement en forêt équatoriale des légionnaires et commandos. Il est donc bien placé pour m’exposer les risques de la forêt et les précautions à prendre avant de s’y rendre.
En préambule, en vol ou pas, il convient déjà d’être toujours en chaussure montante, pantalon et manches longues. Concernant le kit de survie, indispensable à bord du moindre aéronef, ULM compris, le minimum sera une machette, de l’eau, des fusées de détresse et un allume feu.
A l’arrière de l’EC145, Mathieu me vide le sac de survie qui a été mis au point : il contient en plus deux rations alimentaires, un GPS portable, un gros couteau, 2 couvertures de survie, une grande bâche, un appareil de filtration de l’eau, de la cordelette, deux hamacs, deux moustiquaires, une lampe frontale, 2 tenues de rechange, un fusil et ses cartouches, des hameçons et du fil de pêche, du savon, du répulsif à moustiques et une trousse de premier soin.
Avec 2 kilos d’insectes au m² de forêt, du sol à la cime des arbres, vous comprenez l’impératif des chaussures montantes et du pantalon, mais aussi de l’indispensable hamac et de la moustiquaire ! La bâche et la cordelette permettront de faire un abri contre les pluies fréquentes. Il conviendra aussi de se protéger de la chute inopinée de branches, premier danger de la forêt bien avant le Jaguar ou les serpents. A savoir que c’est les bestioles les plus petites qui sont les plus embêtantes : parasites, tiques et bien entendu moustiques avec les risques de paludisme et de dengue… A défaut de hamac, la construction d’une estrade avec des branches pour se surélever du sol sera impérative en y ajoutant un toit si possible. (Le carbet en Guyane)
Autre détail important, votre sac sera dans le cockpit, accessible et non dans une soute et attaché. Un bout de corde de rappel de 20m minimum est également conseillé pour descendre de l’arbre dans lequel vous risquez d’être coincé, ce qui peut vous avoir sauvé évidement. Un stylo laser vert, repérable de nuit à 15 km, peut aussi être ajouté sans vous alourdir.
Je me rends ensuite chez Hélicoptères de France (HDF), le plus gros opérateur de Guyane basé sur l’aéroport et le seul avec un CTA (Certificat de Transporteur Aérien). HDF, dont le siège est à Gap et qui fait partie du Groupe HBG depuis 2015, a le contrat SAMU H24 avec 2 Dauphin dont 1 tout récent N3 et fait aussi toute la gamme des travaux héliportés avec trois Ecureuil, un B2 et deux B3.
Chaque pilote d’hélicoptère a développé son propre kit de survie, plus ou moins complet suivant les vols effectués comme me l’explique le pilote Stéphane Pigeon. Il me précise qu’en cas d’atterrissage forcé, radio ou téléphone opérant ou pas, faire un feu sera le premier reflexe à avoir pour être localisé. Le second sera de rester au plus près du lieu d’atterrissage et de ne pas partir à l’aventure.
Il me présente alors le nouvel équipement de sécurité qui équipe tous les appareils de la base et en général ceux de Guyane : un boitier de tracking satellite qui permet de suivre en temps réel sur un grand écran la position des hélicoptères en vol et d’avoir de nombreuses informations de navigation les concernant. Je vois évoluer un des Ecureuil en mission pour l’ONF. La plupart des opérateurs en équipent désormais leurs machines en fixe ou en portatif. Pouvoir localiser très rapidement et précisément un appareil en détresse est un sacré atout.
Un point très important également à prendre en compte, c’est la chaleur permanente et l’importance de l’hydratation (4 à 6 litres par jour par personne). Disposer d’un appareil de purification de l’eau peut être vraiment salvateur.
Jour 5 : samedi 8 novembre
Michel doit effectuer une importante mission de transport de passagers pour la commune de St Elie. L’inauguration de nouvelles installations sur la commune isolée nécessite le transport de 30 personnes (officiels, journalistes, …) le matin et le retour de 25 d’entre eux l’après midi.
Nous faisons un aller-retour à l’aéroport pour remplir le réservoir en plus des fûts et de la cuve afin d’avoir tout le kérosène nécessaire pour deux jours.
Je suis réquisitionné pour faire helpeur au sol et doit me rendre à la DZ du Barrage de Petit Saut par la route avec 600 litres de carburant en fûts. C’est de ce point le plus proche, à environ 40 kilomètres de St Elie, que vont se faire les rotations, exceptée la première du matin qui part directement de la base, cabine pleine, et la dernière de la journée qui y revient remplie aussi.
Après une heure de route en passant au sud de Kourou, je suis dans le timing pour prendre en charge les passagers matinaux. Michel a mis la tenue de commandant de bord avec la chemise à galons !
La pause de midi me permettra mon seul « écart » touristique avec la visite de la ville de Kourou et un déjeuner sous les palmiers au cap des Roches en face des îles du Salut où se trouvent les ruines du célèbre bagne de Guyane. Pas de centre spatial pour cette fois.
L’après midi, je retourne gérer les retours des passagers et le « refioul ». Michel s’est fait ses presque milles kilomètres dans la journée et moi plus de 3 heures Kangou !
Jour 6 : dimanche 9 novembre
Pas de messe pour les braves, mais encore une grosse journée au PK48 de Bélizon pour avancer la mission des lampadaires.
Michel effectuera une dernière rotation à Saül et deux rotations à Trois Sauts, dont une avec 8 poteaux à l’élingue. Pour cette dernière, je sais qu’il en a pour deux heures rien qu’à l’aller et une heure au retour.
Je m’occupe à couper des dizaines de bois canon en prévision des toutes les rotations de poteaux restantes. Trois heures et demie après de départ du B2, le stress commence à monter car l’après midi tire à sa fin. Vais-je visiter une des mines du coin ? Enfin, j’entends le sifflement de l’appareil et Michel déboule comme une balle comme d’habitude, mais pas depuis le sud, bizarre. Il atterrit toujours aussi adroitement et m’explique que sa charge à l’aller ne s’est pas comportée comme prévue et l’a obligé à voler à maximum 55 nœuds, le mettant hors calcul de conso et d’autonomie. Il a dû rentrer plus par l’Est, pour « refiouler » à Camopi, situé à mi-distance du retour et où se trouve un de ses dépôts de carburants.
Nous effectuons un retour assez bas, même très bas, avec une magnifique lumière de fin de journée. Je place 3 caméras dont la GoPro sous la machine pour avoir l’intégralité de ce dernier vol : magique !
Départ : lundi 10 novembre
L’heure du retour a sonné pour moi. Michel repart au PK48 pour faire de nouveaux transports de poteaux à Trois Sauts. J’en profite pour faire quelques dernières belles photos de son départ.
Ces 6 jours de reporter-helpeur sont passés trop vite et ont été d’une richesse incroyable. Que de souvenirs et d’images ! La Guyane, on n’aime pas du tout ou on tombe sous le charme… Devinez pour moi !
Epilogue
Voler en Guyane nécessite bien entendu plusieurs précautions particulières :
Tout d’abord, tout vol qui part au-dessus de la forêt doit obligatoirement faire l’objet d’un ou plusieurs plans de vol déposé (un par étape). C’est le premier travail du matin pour Michel qui définit et minute son parcours de la journée avant de le déposer par téléphone aux services de l’Aviation Civile. Il activera et clôturera par radio ou téléphone chaque plan de vol prévu le long de la journée. Ensuite, la visite pré-vol de la machine doit être rigoureuse et approfondie, tout comme les calculs de consommation et les quantités de carburants pré-déposées en plus du réservoir. Je ne vous parle donc pas du suivi mécanique de maintenance qui doit être des plus strictes et sérieux possible.
Il faut bien entendu parfaitement paramétrer ses GPS, au moins deux à bord dont un portable. Il est très difficile de trouver un terrain de quelques dizaines de m² au cap et à la montre au bout d’une heure de vol !
Il est aussi évidemment de bon aloi d’avoir au moins une seconde radio, plutôt portable et un téléphone satellite.
Malgré le nombre très important d’heures de vol, on ne recense que très peu d’accidents d’hélicoptères en Guyane : Sur trente ans, une disparition corps et bien avec 3 personnes dans les années 1980 et deux crashs mortels avec le pilote seul à bord d’AS350 B2. Le premier est survenu en 1990 et découle d’une rupture mécanique. Le second s’est produit en 2013 à l suite de l’emmêlement d’un filet dans le rotor arrière de l’appareil. Quand on sait que dans les années 2000, il était fait entre dix et douze milles heures par an en travaux héliportés et encore maintenant dans les huit à neuf milles, ce bilan est vraiment impressionnant (En dehors du SAMU et de ses 1200 heures record).
Bien entendu, il y a eu d’autres accidents, mais malgré l’état des machines retrouvées, les pilotes sont toujours là pour remercier les concepteurs du fameux Ecureuil.
C’est le cas de Yann Le Bouar, pilote et dirigeant de la société Yankee Lima Hélicoptère, qui a été lui aussi victime d’un crash avec destruction totale de son appareil dans la région de Camopi, au sud Est de la Guyane le 31 mai 1999. Joint par téléphone, étant en métropole pendant mon séjour, il me raconte ouvertement son aventure. Il fut sauvé par la mise en application d’une technique qui consiste à finir son autorotation par un « flare » très marqué dans les arbres avec la queue bien vers le bas pour qu’elle absorbe le plus gros de l’impact en s’écrasant. Cela permet aussi aux occupants de rester au-dessus du groupe moteur – BTP, la partie la plus lourde, bien calé dans leur siège. La panne fut causée par un désamorçage de la pompe à kérosène lié à une gestion trop « tendue » de la consommation après avoir accepté une rotation supplémentaire. Bien que blessé à cause du basculement final de l’appareil sur le côté, Yann Le Bouar fut retrouvé au bout de 24 heures grâce à une balise de détresse complémentaire non homologuée, celle d’origine n’ayant pas fonctionnée ! Il reconnait avoir eu une énorme chance malgré une cheville cassée, un traumatisme crânien et la perforation par des branches de sa gorge, d’un bras et d’une cuisse ! Il me parle volontiers de son accident et de la nouvelle philosophie de vie qu’il en a retirée en me précisant que son casque lui a sauvé la vie.
Début 2015, il a été victime, fait rarissime, d’une panne turbine sur un Ecureuil B3 très récent lors d’une mission à l’élingue. Un léger mouvement en lacet anormal l’a fait réagir et prendre de l’altitude. Deux autres plus rapprochés, l’ont fait se dérouter sur une clairière qu’il connaissait par chance à deux minutes de vol sans qu’aucune alarme ne s’active. Il s’est mis en autorotation préventive et a juste eu le temps de larguer sa charge après remise de puissance pour se poser au moment de l’arrêt de la turbine !
Aux fils des ans, les pilotes ont référencé tous les points de posé possible, rochers, bords de rivière, clairières, mines ou pistes et se les ont échangés. Le plus proche de tous ses points rentrés dans les GPS est donc automatiquement sélectionné en cas d’urgence en appuyant sur la touche « nearest waypoint ».
Voilà, vous êtes désormais prêts pour aller survoler la forêt guyanaise en hélicoptère, belle et envoutante avec ses magnifiques jeux de lumières. Mais attention, vous risquez d’y prendre goût !
Un grand merci à Michel & Tatiane Beaujard qui m’ont invité et accueilli si gentiment chez eux et bien sur à la société Pilot’Air Aviation qui m’a pris à bord.
Je remercie également Raphaël Giovanetti pour son accueil et son aide précieuse ainsi que Mathieu Laouenan de la Sécurité Civile, Stéphane Pigeon de chez HDF et Yann Le Bouar de Yankee Lima Hélicoptères pour leur disponibilité.
Bonus
Pilot’Air aviation m’a fourni en 2018 de magnifiques images de rotations de touques réalisées en partie par drone par Valentin Diakaté.
J’ai réalisé le montage suivant pour les remercier.