Ma rencontre avec Michel est de la catégorie des improbables dont semble pourtant absent le hasard : me retrouver dans un R22 avec lui, attrapé par la manche comme instructeur de passage par son héliclub, un mercredi de juin 2013 à 200 km de chez moi ne coulait pas de source. Mais un pilote de cet acabit avec un tel parcours ne pouvait finalement pas échapper à mon bloc note afin que je vous le fasse découvrir. Accrochez-vous !
Un CAP de mécanique générale en poche, Michel effectue son service militaire dans le Génie en y passant tous les permis poids lourd. Après quelques mois chauffeur de taxi, il suit une formation d’ambulancier au SAMU de Lyon et fait ses premières armes pendant un an dans une société en contrat avec SOS Médecin. En 1978, à 22 ans, il reprend une société d’ambulance qui comptera jusqu’à 15 véhicules en collaboration quotidienne avec le SAMU 42 et qui portera son nom jusqu’en 1998.
En 1983, Michel intervient en ambulance sur un accident du travail nécessitant finalement une évacuation du blessé vers Grenoble avec l’Alouette III de la Sécurité Civile de Lyon. C’est le déclic : Michel attrape le virus de l’hélico et décide de l’intégrer efficacement dans son activité et dans la chaine du secours du département de la Loire. Doté d’un dynamisme sans pareil, il se renseigne aussitôt pour devenir pilote. On lui dit qu’il faut d’abord passer par l’avion : Qu’à cela ne tienne, il intègre l’aéroclub de St Chamond pour faire ses 45 heures mais en parallèle aussi l’héliclub de Villefranche-Tarare. Il passe les 2 brevets privés à 3 jours d’intervalle en juin 1984 avec 27h pour l’hélico et une QT sur Alouette II.
Pendant 2 ans, Michel entreprend de monter ses heures pour le Pro et travaille de nombreuses heures toute la théorie déjà difficile à l’époque (en ayant à apprendre le morse…). Il loue une Alouette II avec une bande de copains et propose des baptêmes privés. Il vole parfois jusqu’à 7h dans la journée et passe son CPLH chez MBH à Annemasse en juin 1986 avec René Romet comme examinateur.
Sa collaboration quotidienne avec le SAMU de St Etienne dirigé par le docteur Blanc amène Michel à créer la Société Héli Rhône-Alpes en juillet 1986. Avec 180h au carnet de vol, il achète une Alouette II pour un montant de 500 KF (80 K€) et obtient un CTA en 3 mois. Une fois acquis un agrément de transporteur sanitaire, il développe une activité de mission primaire avec le SAMU 42 sans aucun contrat et sans permanence officielle de fin 86 à fin 87 avec 260 interventions et un délai de disponibilité de 7 minutes. Il développe en parallèle des prestations variées telles que baptêmes, transports, photos et surveillances EDF. Il fut donc un dès précurseurs indiscutables du SAMU héliporté en France, un des seuls en Alouette 2. Il fait aussi à cette époque ses premières armes à l’élingue toujours en SA313B et seul, puisqu’il n’y avait pas encore de DNC.
A l’issue d’une intervention héliportée sur la Loire en 1987 pour évacuer une fillette gravement blessée par l’hélice d’un bateau qui pris la fuite, Michel a les honneurs de la presse et la Mairie de St Etienne vote un budget pour financer la mise à disposition d’un hélicoptère officiel pour le SAMU 42. Le contrat sur appel d’offre sera attribué à la Sté Hélicap pendant 2 ans avant que Héli Rhône-Alpes ne le récupère en janvier 1990.
C’est en fait en 1989 que Michel passe à la vitesse supérieure : Il commande deux Ecureuils neufs d’un coup et conçoit, brevet à la clef, un brancard sanitaire spécifique pour cet appareil. Le premier AS350 n’est livré que le 20 décembre 1989, ce qui fut très tendu pour attaquer le 1er janvier au SAMU.
Le 3 mars 1990, alors qu’il est en transit avec un médecin et une infirmière à bord, Michel décide de s’arrêter voir les travaux en cours du nouvel Héliport de Saint Etienne dont il est l’instigateur. Visualisant un déchargement de tôles en cours depuis un camion proche de son aire de posé, il décale son approche finale et se met en stationnaire à côté de la plateforme au dessus d’un talus à 15m du sol. Il subit alors un bris de roue libre brutal et se crashe inévitablement et violemment en pieds de talus. Heureusement si on peut dire, sinon la machine aurait fait en plus des tonneaux. L’hélicoptère fut détruit, mais surtout les 3 passagers furent gravement blessés. Michel subit un traumatisme crânien et une fracture d’une vertèbre lombaire pour lequel il fut appareillé. Cela lui permit de remarcher très vite, de reconduire au bout de 2 semaines et de re-piloter après 4 mois. Les 2 autres passagers récupéreront aussi de leurs importantes blessures. Les roues libres avaient déjà des soucis sur les Ecureuil à cette époque à tel point que suite à cet accident, les livraisons des appareils neufs furent arrêtées deux mois pour modification et remplacement.
En juin 1990, Héli Rhône-Alpes reçoit son second AS350 neuf. Le contrat avec le SAMU 42 ayant été repris par Hélicap, Michel tourne alors jusqu’en 1996 en transports et travaux aériens ainsi que pour des missions ponctuelles avec le SAMU 43 qui avaient débutées en 1988. Cette même année, il crée un atelier de maintenance agrée Part 145 et se lance dans le négoce de machine. Il fait aussi de l’école sur R22 et Alouette II. C’est à cette époque qu’il entre en contact avec l’héliclub de l’Ain qui cherche à louer une AIouette 2. De 1992 à 1996, Michel effectue aussi des missions sanitaires pour les grands prix de formules 1 au Castelet et à Magny-Cour.
En 1990, Michel est contacté par Bernard Maraux, spécialiste du saut en élastique, alors très en vogue, avec la société Elastic 2000. Il souhaite faire des sauts de très grandes hauteurs depuis hélicoptère avec un cascadeur bien connu du milieu du cinéma, Pierre Rosso, doublure principale de Jean Paul Belmondo. Les démarches sont entreprises avec l’Aviation Civile. Une dérogation fut accordée mais avec une obligation de test pour démontrer la faisabilité et la sécurité du projet. Un, test avec une poche d’eau de 80 kg sera concluant après quelques réglages et le 1er saut « humain » exceptionnel eu lieu dans la baie de Villefranche-sur-Mer en 1992 avec diffusion au 20h de TF1. L’évènement annoncé créa la saturation de la route du littoral et de la baie en bateaux. Le saut de plus de 800m fut un succès. Michel effectuera alors plus de 150 largages en 3 ans dont le record du monde à 1100m (Guiness Book). Il effectua à Cannes l’unique saut terrestre, de 500m, dans le cadre d’un meeting aérien avec Pierre Rosso, non sans que ce dernier ait dû se démener comme un diable pour avoir l’autorisation. Il alla jusqu’à organiser une opération médiatisée en menaçant de se suicider pendu sous un pont à Nice !
En parallèle des sauts, Bernard Maraux met en contact Michel avec son oncle qui s’occupe d’une mine d’or en Guyane. Ce dernier ne veut plus du monopole de l’unique opérateur hélico local et propose à Michel six mois d’essai. Michel envoi là-bas un AS350 B en janvier 1992. Il effectue 30h de vol en 3 jours. L’opération est un succès et Michel continu en Guyane. Il eu un projet de Bell 412, puis finalement de Bell 205 qui s’avéra infructueux. Ce dernier, immobilisé 6 mois, généra des problèmes financiers qui conduisirent à l’arrêt de Héli Rhône Alpes en 1996.
Qu’à cela ne tienne, Michel avait attrapé le virus de la Guyane. Il crée la société Héli Partners en 1996 en commençant par louer un AS350 B1 et voler avec 400 h les 6 premiers mois. Il loue ensuite un B2 à Héli Inter en volant sous leur pavillon pendant 2 ans. En 1999, Michel acquiert son propre AS350 B2, puis un second en 2000, année où il eut droit à un bel article dans le magazine « Le monde de l’aviation ».
Une de ses machines subira une prise d’otage et finira en crash suite à un tir de fusil. L’équipage fut libéré par les gendarmes et la machine expédiée en métropole pour des réparations de longue durée. Michel ne tourna plus que sur une machine jusqu’en 2003, mais en établissant le record sur Ecureuil de 1530h de vol en sur un an avec son ami et pilote Marcel Berthier.
Il est intéressant de préciser que le vol en Guyane est vraiment très exigent pour le tandem homme-machine :
- Conditions équatoriales avec toujours chaleur, humidité et météo très changeante.
- Vols difficiles au dessus de la forêt extrêmement dense avec parfois des périodes de 15-20mn sans aucune zone de posé possible et souvent dans des grains ou sous couche très basse.
- Très grandes distances à couvrir souvent à charge max au décollage : La Guyane fait 400 x 300 km. Les départs de missions peuvent donc être à plus d’une heure de vol et chaque rotation peut prendre jusqu’à 2h ! Le record de Michel est 12 heures sans coupure de la machine. Les journées de 8 à 10h s’enchainent couramment. Les visites des 100h sont faites sur place par les mécaniciens, parfois toute la nuit pour ne bloquer l’appareil qu’une journée.
- En cas de panne, les autorotations ne peuvent se faire que dans les rivières, dans les criques de bois canon (petits arbres), sur le sommet de certains gros arbres ou dans des arbres en cabrant l’appareil au dernier moment et tombant sur la queue ! (vécu par un pilote en Guyane retrouvé le lendemain blessé mais vivant)
- La rigueur du suivi mécanique doit être infaillible : visite pré-vol approfondie chaque jour.
- Préparation très soignée des parcours, des consommations et des points de ravitaillement. Tous les vols sont sous plan de vol en Guyane.
- Les DZ sont souvent exigües et difficiles à repérer. Il faut mieux avoir 2 GPS à bord.
- Risque élevé de collision avec des volatiles.
- Les charges peuvent être très encombrantes et difficiles à amener sur longue distance (tuyaux, godet de pelleteuse, épave…). Voler à cette époque avec un filet de 18 à jusqu’à 60 fûts vous change radicalement la trainée de votre machin et vous fait avancer à 70 kt maximum.
En Guyane, Michel n’a jamais eu de défaillance mécanique grave, hormis une panne de régulation qui l’obligea à larguer sa charge. Il a eu par contre de nombreuses mésaventures au point d’avoir besoin d’écrire un roman pour les conter !
On peut citer un enfoncement inopiné de la machine dans un sol mouvant avec dégât au RAC, des menaces au fusil et de nombreux déboires avec les autorités souvent liés à des dénonciations de gens mal attentionnés et jaloux. Il eu le doit à des gardes à vues, des saisies d’appareil et à de nombreux PV lié aux zones d’ombres à cette époque entre la réglementation des monomoteurs pour le transport aérien et celle des bi-moteurs pour le transport public de personne. Mais on n’arrête pas un Michel comme ça !
Passionné et très pris par son travail-passion, Michel eu aussi à subir les malversations de son associé gérant à Héli Partners : Ce dernier détourna 400 K€ fin 2002, ainsi que les 2 appareils et tout le personnel sur une autre société à son nom. Heli Partners fut de fait mis en liquidation à l’insu de Michel. Dans le cadre d’une procédure rare de tierce opposition, la liquidation fut annulée et la société put reprendre son activité. L’individu fut condamné.
Suite à cet épisode, la saison 2003 se déroule très bien jusqu’à fin octobre : Par grand beau temps et de retour de mission, Michel percute un Urubu, grand oiseau de 1.5m d’envergure, de plein fouet à 120 kt (220km/h). Les vols entre l’hélico et le volatile étaient convergeant et ni Michel, ni son assistant ne l’on vu arriver, à priori, d’au-dessus. Le choc est effroyable. La vitre gauche explose et le volatile percute de face le passager, helpeur depuis 7 ans, qui est tué sur le coup mais aussi expulsé de la machine. La porte gauche fut en effet arrachée avec la surpression soudaine dans l’appareil. Trois piroguiers en dessous sont témoins de la scène. Miche pose l’appareil en catastrophe, choqué et bouleversé par cet accident terrible. La malheureuse victime fut retrouvée, mais jamais la porte. Allez savoir pourquoi, mais Michel fut alors traduit en correctionnelle, à croire que les pilotes sont tous des criminels en puissance dès qu’il arrive un accident d’aéronefs. Il fut sans licence pendant 3 ans et fut relaxé en 1ère instance sans procédure d’appel. Cette fois, cela sonne le glas de Héli Partners et Michel et sa famille rentrent en métropole.
Dans l’année 2004, Michel, participe à la création de la société Helixair. Cette société mis en place un Ecureuil B3 en Guyane en mars 2005 avec Michel salarié sur place mais toujours sans licence. Faute de trouver un pilote suffisamment confirmé, l’expérience s’arrête en janvier 2006. Michel est alors licencié et rentre en métropole en juin de la même année.
Notre pilote baroudeur se marie en janvier 2007 et décide d’un break pour souffler des vicissitudes du milieu aéronautique. Titulaire des permis de conduire camion, il gagne sa vie aussi bien, voir mieux en tant que chauffeur poids lourd pendant 2 ans. Il ne faut pas croire, mais être pilote et surtout dirigeant de société d’hélicoptères n’est pas la meilleure voie pour s’enrichir.
En 2009, Michel, que l’absence de manche commence à chatouiller, fait son stage sécurité Robinson chez MBH et renouvèle son FIH pour faire de l’instruction bénévole à l’héliclub de l’Ain. Il y consacre beaucoup de temps et fait partager son expérience du terrain aux élèves pendant 2 ans. C’est Patrick Béyeklian, avec qui il est toujours resté ami, qui nous fait nous rencontrer.
En 2011, Michel a envie de repartir et accepte un CDD de 2 mois en Nouvelle Calédonie chez Héli-Océan pour faire du TP, du TA, du SAMU et du bombardier d’eau qu’il affectionnera particulièrement. De retour, à nouveau accro et le pied bien remis à l’étrier, il intègre la société Héli Air Monaco pendant 2 ans pour faire du transport VIP et du levage. Il a l’occasion de montrer son savoir-faire en levage sur différents chantiers dont un assez exceptionnel avec une élingue de 90m et des stationnaires très engagés pour un chantier côté mer au musée océanographique de Monaco.
En 2013, à 57 ans, Michel a gardé son enthousiasme et la passion de ses 20 ans. Il décide de repartir en Guyane avec Tatiane, son épouse d’origine brésilienne, et remonte une société, mais cette fois uniquement de pilotage : Pilot’ Air Aviation. Il met en contact ses clients avec une société indépendante qui loue des hélicos coque nue et vend lui uniquement sa prestation de pilotage.
Il a commencé à l’automne 2013 uniquement à voler avec un R44 pour faire du transport de personnes et de petit matériel, faisant fi des railleries de certains concurrents. Pour de nombreuses missions, à quoi bon effectivement utiliser un Ecureuil pour 2 passagers ou du petit matériel alors que le R44 va remplir la même mission pour seulement quelques minutes de plus et un coût divisé par 2. Et quand on connait la fiabilité du modèle phare de chez Robinson, pas de quoi être beaucoup plus inquiet que dans un AS350.
Depuis fin janvier 2014 un Ecureuil B2 à la location coque nu est disponible en Guyane et permet à Michel de proposer ses services de pilote pour toute la gamme de prestations héliportées pour lesquelles il excelle. J’ai eu l’occasion de le vérifier en novembre 2014 en passant une semaine avec lui en mission.
(Voir l’article : Guyane, le paradoxe hélico)
En 2014, l’activité a commencée à baisser, en particulier à cause d’une diminution sensible des autorisations pour les mines d’or, mais aussi de la concurrence des avions, moins chers et du développement des routes. Elle a continué encore à baisser jusqu’en 2018 et est plutôt stable depuis même si le nombre d’opérateurs est descendu à 3 principaux fin 2020 au lieu de cinq.
La Guyane est le Département d’Outre-mer qui a longtemps été le plus pourvu en opérateurs de travaux héliportés. Cela est lié à ces dimensions importantes, à sa couverture quasi complète en forêt équatoriale et à son réseau routier restreint principalement à la côte. L’activité de mine d’or est le premier pourvoyeur de missions héliportées : Transport de personnels, de nourriture, de matériels, de pièces de rechanges et bien sûr de beaucoup de gasoil. Ce dernier fut longtemps transporté par fûts, mais est acheminé depuis 2014 avec des touques souples pour alimenter les matériels des mines (groupes électrogènes, pompes, engins…). Les travaux du bâtiment et le transport de passagers pour les collectivités représente le second secteur de mission.
Depuis ma visite en 2014, Michel a continué son activité avec toujours autant de dynamisme et d’énergie et a plutôt bien tiré son épingle du jeu. Il a vécu encore de très bons moments et aussi pas mal de mésaventures techniques et administratives.
Début 2021, Pilot’Air a gagné en part de marché et propose ses prestations de pilote sur désormais 2 AS350b2 et sur un Bell 206 Long Ranger 7 places très compétitif.
Michel approche les 15000h de vol dont 9000h de levage et 6000h de TP/baptêmes, de surveillance EDF, d’instruction, de SAMU, de bombardier d’eau, de photos/vidéos, de sauts en élastique, de largage de parachutistes, etc. Il commence à envisager de mettre noir sur blanc toutes les péripéties de sa carrière quand il cessera son activité et n’aura surement pas sa langue dans sa poche.
Vous comprenez pourquoi il me tenait à cœur de vous exposer le parcours passionnant de ce pilote globe-trotter qui sait tout faire aux commandes d’un hélico, n’a pas froid aux yeux et aime par-dessus tout partager sa passion.
Patrick
Images : © Collection Michel BEAUJARD – Post-traitement et Montage: Patrick GISLE