18h
Arrivée un mardi soir d’avril à l’Altiport de la station iséroise de l’Alpe d’Huez.
6h30
Une sonnerie me sort partiellement d’un rêve d’évolutions héliportées. Je réalise assez vite que je n’ai pas tout perdu de mon voyage au pays des songes : Je suis toujours à l’Alpe d’Huez, bon début, et dans une des chambres de la base d’hélicoptère du SAF, une des plus importantes sociétés de prestations héliportées de l’hexagone. Serait-il possible que… ? Non, je ne suis pas devenu pilote professionnel pendant la nuit !
Je suis venu partager pendant 24 heures « chrono » la journée de Kévin Mormann, 32 ans, pilote au SAF, pour vous faire découvrir son quotidien hors norme. Kévin remplace pour une semaine Gilles Sarret, le pilote titulaire de la base iséroise.
7h
Je rejoins Kevin pour le petit déjeuner. Je vais essayer de le suivre comme son ombre toute la journée. Nous continuons la conversation du dîner de la veille sur son parcours et son travail.
7h30
Direction le hangar. L’Ecureuil AS350 B3e est là, bien à l’abri, capots ouverts. Kevin commence sa visite pré-vol de chaque début de journée chiffon en main : Contrôle des filtres et des niveaux, appoints d’huile pour la boite de transmission principale, inspections approfondies du fuselage, du plan fixe arrière, de la dérive, du rotor anti-couple, des pales, des patins et nettoyage des vitres. L’actionnement du master batterie pour tester la charge et noter le niveau de kérosène parachève la visite.
8h
Beau levé de soleil sur l’altiport. Johan, l’assistant de vol est arrivé et sort l’appareil au chariot électrique.
La première mission de Kévin n’est pas très courante. Il s’agit d’un contrôle interne semestriel de compétences des pilotes. Le candidat pilote du jour n’est autre que Gilles Sarret. Les deux compères partent en vol dans le massif avec au programme des procédures de pannes en tout genre déclenchées par Kevin, instructeur depuis 9 ans. Soixante minutes plus tard, le F-GSDG revient sur la plateforme en simulation de panne de rotor anti-couple et effectue encore quelques manœuvres parfaitement maitrisées avant de se poser. Gilles, a bien surmonté les embuches et a même réussi à épater son cadet d’instructeur du jour. Il n’est pas là par hasard avec ses 9500 heures de vol à 51 ans.
9h30
Après un appoint de kérosène, nous partons avec Johan de l’autre côté du massif des Grandes Rousses par le col de la Valette pour une mission de levage, la grande spécialité de Kevin. En 8mn, nous arrivons en Maurienne à St Jean d’Arve et nous posons dans un vallon au bord d’une petite route. Nous avons rendez-vous avec une entreprise qui vient de supprimer la ligne électrique d’un ancien téléski. Les poteaux en bois sont restés à flanc de pentes et ne peuvent être évacués que par les airs. Johan déroule une élingue de 20m et l’installe sous le cargo de levage. Kevin se fait expliquer par les techniciens les sites et les charges à élinguer et redécolle rapidement seul à bord. Moins de 2 mn plus tard il revient avec 2 poteaux bois qu’il pose avec précision. Quatre rotations et huit minutes plus tard, il a fini sa mission avec une rapidité et une maitrise déconcertantes. Nous rentrons à l’altiport dans un cadre superbe entre pentes d’herbe et flancs enneigées sous un beau soleil de printemps.
10h30
« Le SAF pour la 20 » : Un appel radio du service des pistes de la station des Deux Alpes toute proche nous active. Le SAF a un contrat d’intervention pour évacuer des blessés du domaine skiable ne nécessitant pas de soin primaire afin de les redescendre à la station. En effet, cette dernière est trop étendue pour utiliser les remontées et trop pentue en aval pour les traineaux. Vint quatre sites d’atterrissage, des DZ, sont répertoriés et cartographiés sur tout le domaine. Deux minutes après l’appel, nous décollons, la mise en route sur le B3e étant d’une rapidité impressionnante : moins de 60 secondes. Les douze kilomètres et 700 mètres de dénivelé sont couverts en 4min 50s. Deux pisteurs nous attendent à la DZ n°20 au cœur du domaine à 2600m. Nous embarquons un jeune homme blessé à l’épaule et équipé d’une attelle. Cela prend 1mn 15s, le temps d’échanger deux mots avec le pisteur. La descente 1000m plus bas sur la DZ à l’entrée de la station prend 2mn 30s avec une pointe à 130 nœuds et une approche finale à sensation. Le blessé est alors pris en charge par une ambulance vers le centre médical. En cas de blessure grave ou d’accident hors piste, c’est l’hélicoptère de la Sécurité Civile avec médecin à bord qui intervient, lui aussi depuis l’Alpe d’Huez, sa base saisonnière.
10h42
Nous redécollons, mais le retour n’est pas au programme. Kevin est sollicité pour intervenir dans le cadre d’un stage de pisteur qui a lieu sur le domaine à 2200m. Deux minutes de montée plus tard, nous posons et coupons en bord de piste. Un groupe de neuf futurs pisteurs nous rejoint avec leur formateur. L’objectif de l’intervention est de les sensibiliser à l’approche d’un hélicoptère et aux dangers inhérents à cela. Kevin leur explique également la disposition des DZ, comment s’y placer et comment enfiler la brassière d’hélitreuillage sur un blessé. Les auditeurs sont attentifs et posent de nombreuses questions.
11h02
Au décollage, un nouvel appel radio nous fait grimper 400m plus haut à la DZ n°10 en 1mn 40s. Nous embarquons un adolescent en matelas coquille en 40 secondes et le descendons à l’entrée de la station vers l’ambulance en deux minutes.
Après 40 minutes bien soutenues, c’est l’heure de rentrer. Cela prendra moins de trois minutes.
11h25
Johan installe le siège passager à l’avant gauche. Kevin part récupérer 50 membres du ski club de l’Alpe d’Huez partis tôt faire un grand hors piste depuis le Pic Blanc, sommet de la station. Il doit les récupérer au pied du vallon du Grand Sablat, à l’est du massif, après une belle descente de plus de 1000m de dénivelé dans des pentes soutenues. Dix rotations de six minutes lui sont nécessaires. Ses manœuvres de décollage et surtout d’atterrissage laisse pantois l’humble pilote de R22 que je suis.
11h40
Après seulement deux rotations, un troisième secours au deux Alpes vient s’intercaler. Je grimpe vite à bord. Ce sera cette fois pour la DZ n°9 où nous attend un enfant avec une jambe cassée. L’aller prend 3 min 45, l’embarquement du schtroumf trente secondes et en moins d’une minute nous redécollons pour la DZ du bas. Moins de six minutes après, nous sommes posés à l’Alpe d’Huez après une dépose express à l’ambulance. Durée de la rotation : dix minutes trente, la plus rapide du jour.
12h05
Après un « refioul » de Johan, Kevin repart seul pour les huit rotations du ski club restantes. Quarante enfants encadrés par 10 moniteurs se sont vu offrir en récompense de leur investissement pendant la saison une grande sortie hors piste avec retour par les airs. Le balai du B3 est un vrai spectacle pendant cinquante minutes.
13h05
Pause déjeuner au restaurant de l’altiport. Le soleil et la température printanière remplissent la terrasse. Kevin a la radio en poche, mais le début de l’après midi est souvent calme en secours, beaucoup de skieurs faisant comme nous le break fourchette.
15h15
Les activités reprennent : Un appel radio demande une évacuation à la DZ n°14. C’est pour un adolescent accompagné. Je reste donc au sol puisqu’uniquement 2 passagers assis, assistant de vol compris peuvent être à bord en plus du blessé.
15h25
Une nouvelle demande d’intervention tombe pendant la fin du retour de Kevin et Johan. Ils repartent aussitôt pour la DZ n°10 pour un nouvel ado accompagné.
15h31
En cours de transfert du blessé, un nouvel appel renvoi l’équipage pour une seconde rotation à la DZ n°10. La fatigue de l’après midi se fait sentir chez les skieurs.
16h00
Retour du mono-turbine. J’embarque aussitôt avec l’heureuse gagnante à la loterie d’un aller-retour au Deux Alpes. Son vol est combiné avec le trajet nécessaire pour aller effectuer deux vols baptême au départ de l’altiport de la station d’en face. Ce dernier est situé à 2185m sur la crête qui domine la grande station côté Est. Trois minutes plus tard, quatre passagers nous remplacent et partent pour un vol touristique de huit minutes.
16h15
Au retour du premier baptême, un appel radio nous oblige à effectuer un secours à la DZ n°12 située assez haut dans le domaine des deux Alpes vers 2800m. Après deux minutes d’ascension, quatre minutes trente suffisent pour descendre de 1200 m, poser le blessé et remonter de 600m à l’altiport. Le B3e est vraiment un monstre du variomètre et du chronomètre !
16h25
Kevin effectue le second baptême de huit minutes.
16h33
Retour sur l’Alpe d’Huez avec la passagère de la loterie qui a eu le temps de profiter du soleil et du paysage. Johan refait un appoint de kérosène, l’appareil ne volant jamais avec le plein pour garder le maximum de puissance en altitude et consommant quand même 180 litres à l’heure !
16h53
Nouvel appel radio des pisteurs des deux Alpes pour le dernier secours de la journée. Ce sera pour la DZ n°13, distante de 13km et située à près de 2700m. Un jeune homme s’est luxé l’épaule. Les patins quittent le sol 50s après la mise en route et nous sommes sur site en 4mn20. Après une nouvelle descente impressionnante à 240 km/h sur 1100m de dénivelé, nous déposons à l’ambulance le malheureux candidat à un beau baptême express et rentrons à la base. Douze minutes de plus s’affiche au compteur pour 27 km parcourus.
17h12
Visite d’un père de famille qui demande s’il est possible de faire un vol de huit minutes autour de la station avec ses deux enfants. Kevin accepte, les conditions étant toujours optimales. Rendez vous est pris dans vingt minutes.
17h34
Kevin et ses 3 passagers s’envolent pour un beau survol du massif des Grandes Rousses avec un passage au Pic Blanc à 3300m. Les visages illuminés des enfants au retour en disent long.
17h45
Fin de la journée de vol avec un beau couché de soleil, mais pas la fin du travail pour Kevin. Le moins agréable arrive avec plus d’une demi-heure de documents à remplir. Le bilan est éloquent : 5h04 de vol et 53 atterrissages.
18h15
J’ai bouclé mes 24 heures. Cette journée qui m’est apparue époustouflante est pourtant tout à fait ordinaire pour Kevin ou Gilles. Elle aurait pu être encore plus remplie s’il y avait eu les navettes régulières entre les deux stations qui ont pris fin le week-end précédent. Une bonne heure de vol en plus aurait été nécessaire. Cinq à six heures de ce rythme endiablé est donc monnaie courante pendant les 5 mois de la saison de ski. Le reste de l’année, c’est le travail aérien qui représente 80% des heures et les vols touristiques le reste. La moyenne est alors de 1 à 2h de vol par jours.
Épilogue
Si vous intégrez les conditions météo loin d’être toujours aussi bonnes, vous venez de découvrir le très exigeant métier de « pilote d’hélicoptère en montagne ». Il nécessite d’être en très bonnes conditions physiques et psychiques, 100% disponible et d’avoir une hygiène de vie irréprochable. Il est loin de consister à faire de jolies promenades dans des beaux paysages.
Si les pilotes ne se plaignent pas de leur sort, malgré de tel rythme, des salaires moins élevés que l’on penserait et des périodes de déplacement éloignés de leur famille, c’est que le bonheur que leur procure leur « profession-passion » aux commandes de leur infernale machine est extraordinaire. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont leurs yeux et leurs sourires après chaque vol.
La base du SAF de l’Alpe d’Huez se démarque à plus d’un titre
C’est la seule base permanente située en plein cœur d’un massif à plus de 1860m qui propose toutes les prestations héliportées possible. Elle dispose d’importantes et récentes infrastructures avec hangar, atelier, accueil avec assistante, bureaux, salle de vie, cuisine et cinq chambres dignes d’un bon hôtel. Sa situation permet de réduire les trajets de liaison, les besoins en logistique sur chantier, les attentes inconfortables et améliore nettement le cadre de travail. Cela lui permet bien sur aussi d’être très compétitive dans son secteur.
Elle propose le plus complet panel de missions avec le même pilote et le même appareil dans la journée : secours non médicalisé sur pistes, transport de passagers en navette, en vols touristiques ou pour des chantiers d’altitudes, si besoin avec le treuil, transport de matériels en cabine et héliportage à l’élingue, déclenchement d’avalanches, repérage et surveillance, photos et vidéos… La base de l’Alpe d’Huez tourne plutôt bien avec environ 600 heures en moyenne effectuées chaque année. Elle peut être qualifié de Saint Graal pour un pilote chevronné et polyvalent.
Kevin Mormann – 37 ans
A 20 ans, un BTS de mécanique automobile en poche, les tests de ses deux jours d’armée à Lyon lui ouvrent les portes pour être pilote d’hélicoptère, mais ceux de Vincennes ensuite pour ALAT les lui ferment.
Qu’à cela ne tienne, il franchi peu de temps après la porte de chez Azur Hélicoptères à Cannes pour passer son PPLH en 50h et enchaîne son CPLH en 185h sur R22, R44 et AS 350. Il commence à travailler pour Azur en 2006. En 2007, Michel de Rohozinski parie sur lui et l’aide à passer son FIH (Instructeur). Il volera pendant trois ans pour son mentor avec 90% de transport de passagers, de l’école et de la photo.
En 2009, attiré par le vol technique, Kevin passe sa DNC (Déclaration Nationale de Compétence) feux de forêt et part une saison en Corse faire du HBE (hélicoptère bombardier d’eau).
En 2010, il accepte une proposition de Jet Système Hélicoptère Services pour intégrer la base saisonnière de Méribel, puis le siège de Valence. Il se spécialise à l’élingue, une autre DNC à l’époque, et commence à se faire remarquer dans le domaine en 2012 lors d’une opération de pose de poteaux électriques pour une voie ferrée avec 1350 rotations à raison de 150 par jour.
En 2013, il repart chez Azur Hélicoptères pour lancer l’activité levage chez l’opérateur. Il n’y restera que quelques mois, ne pouvant refuser une offre de recrutement du SAF à son égard.
Depuis 2013, il vole pour le SAF. Il a passé sa DNC treuillage fin 2013 et sa QT biturbine sur EC135 en 2015. Il totalisait alors 5000 heures de vol. Les hivers de 2016 à 2020, il était l’un des 2 pilotes d’un Ec135 basé à Gap sous contrat avec plusieurs stations environnantes pour du secours sur piste, du déclenchements ou du transport technique. A partir de fin 2016, il a commencé des remplacements sur EC135 pour différents SMURH (Toulouse, Lyon, Grenoble, St Etienne, …) pour devenir fin juillet 2019 un des cinq pilotes titulaires de la base SAMU de St Etienne sur EC135 T3H. Il est aussi devenu FE (Examinateur), TRi & TRE (Instructeur et Examinateur sur Type). En parallèle, il a aussi continué à faire des missions de levage sur H125 aussi bien dans les Pyrénées que dans les Alpes, principalement pour des remplacements. Il a également été l’un des pilotes du Rallye de Finlande les étés 2017 à 2019. En octobre 2019, il a passé sa QT sur le bi-turbine italien Léonardo A109 Trekker dédié au missions sanitaire pour le rajouter à son panier d’instructeur. Finalement, il a accepté avec enthousiasme de revenir à son domaine d’excellence, le travail aérien, en devenant à partir de mai 2021, le nouveau chef de base de la base SAF Pyrénéenne de GER (65).
Il totalise à fin mars 2021 un peu + de 6500 heures.
Je remercie chaleureusement Kevin pour son accueil et sa disponibilité, ainsi que Paméla, le sourire de l’accueil, Thierry, mécanicien de bord et Johan assistant de vol. Merci bien évidemment au SAF d’avoir permis ce reportage. Cet article est paru initialement en janvier 2016 dans le magazine Aviation & Pilote n°504 et a été remis à jour en mars 2021.
Patrick