Sommaire
- Préambule
- Présentation
- Mise en route
- Décollage et Vol pour l’Altiport de Méribel
- 1ère Partie du Vol en haute montagne : Méribel – Chamonix – Saint Jean d’Arves : 47 mn – 195 km
- 2ème Partie du Vol en haute montagne : Oisans – La Meije – Iseran – Albertville : 48 mn – 190 km
- Epilogue : Avec le Trekker, L’étonnant retour du Aw109 !
Préambule
Pouvoir monter à bord d’un hélicoptère biturbine pour un pilote privé, même si ce dernier a déjà piloté des monoturbines, c’est presque aussi enthousiasmant que de faire de l’hélico pour la première fois. Ce n’est pas tant le pilotage de base qui interpelle cette fois, un gros hélico étant en général plus facile à faire voler qu’un petit, c’est la technicité de l’avionique, la puissance bien au-delà des 1000 chevaux, la vitesse et les prix de l’appareil et de son heure de vol.
Ma réponse fut donc évidente lorsque Kévin Mormann, pilote instructeur au SAF, me proposa de l’accompagner pour un vol de 2 heures en haute montagne avec un Léonardo AW109 Trekker tout neuf aménagé EMS (= Emergency Médical Service) dans une nouvelle configuration inédite en France.
Rendez-vous fut pris un mardi de fin avril par grand soleil à l’aérodrome de Frontenex-Albertville, au siège de l’opérateur savoyard. Le vol rentrait dans le cadre d’heures de vol, dites « de murissement » que Kévin devait faire après avoir passé sa Qt à l’automne 2020 en Italie chez le constructeur. Au nombre de 15, ces heures libres sont obligatoires pour chaque FI (Flying Instructor) après une nouvelle QT pour pouvoir enseigner sur un nouvel appareil. Dans notre cas, il s’agissait donc pour plusieurs instructeurs de pouvoir faire passer des Qt aux pilotes de la base SMURH de Rouen auquel l’appareil était destiné à partir de début juillet.
Présentation
Lorsque j’arrive sur le tarmac, l’appareil, doté de patins, est sur son plot, flamboyant avec sa peinture jaune qui devient le standard des HEMS en France. Le AW109 est fin et élancé avec un nez pointu. Bien que sorti en 1976, le biturbine italien a gardé une ligne moderne et aérodynamique qui contribue à ses performances. Son cockpit, plutôt étroit, propose une nouvelle instrumentation optimisée mono-pilote sans console centrale. Les contacteurs sont plutôt réduits en bas de la planche de bord et nettement plus nombreux en plafonnier. Son avionique intègre côté droit, 2 nouveaux EFIS Genesys de chez Aerosystems avec écrans de 20*15cm. Celui de gauche donne tous les paramètres techniques de l’appareil. Celui de droite affiche toutes les données de vol : horizon, vitesse, vario, cap, altitude, cartes, etc…
Le cargo est aménagé avec un nouveau kit spécifique EMS qui optimise étonnement son volume à première vue plutôt petit et propose 3 places assises d’accompagnants en plus d’un nouveau matelas-brancard monté sur un système pivotant. Deux grandes portes coulissantes permettent un accès total de chaque côté.
Mise en route
Une fois la visite pré-vol effectuée, nous prenons nos places sur des sièges droits et assez fermes. Tout tombe bien sous les mains dans ce cockpit compact. L’appareil ayant volé plus tôt le matin et sur une assez courte durée, Kévin craint de ne pas avoir assez de puissance pour démarrer uniquement avec la batterie, laquelle lui semble un peu sous-dimensionnée. Il lance la phase de démarrage en suivant la check liste qui apparait claire et concise. Au moment de lancer les turbines, sa crainte s’avère fondée et nous sollicitons le recours au groupe externe.
La seconde tentative sera la bonne et les deux turbines Pratt & Whitney PW207C montent bien en régime en lançant le rotor en sens anti-horaire dit sens « américain ». A plein régime au sol, le niveau sonore est bas et les vibrations très faibles. A la rotation, en stationnaire puis en translation lente, cela reste de même. L’appareil apparait tout de suite très bien réglé et agréable aux commandes.
Décollage et Vol pour l’Altiport de Méribel
Une fois rejoint la piste en dur du terrain savoyard, la prise de vitesse et de hauteur se fait avec douceur et efficacité et toujours avec un niveau vibratoire très bas. Vitesse de montée établie à 60 kt, le taux de montée approche les 2000 ft/mn à 90% de puissance et donne le ton : on a 1470 chevaux en continu pour une masse en vol de l’ordre de 2700 kg à ce moment précis ! (Maxi 3175 kg)
Après un décollage en 24 au sud-ouest, nous virons main droite en vent arrière pour rejoindre le début de la vallée de la Tarentaise situé au nord-est. Une fois établi en croisière dans la vallée, la vitesse affiche facilement 128 nœuds (237 km/h), encore loin de sa vitesse de croisière max qui tourne autour de 140-145 kt et fait du Aw109 l’appareil de moins de 5 tonnes le plus rapide du marché.
Arrivés sur Moutiers, nous grimpons légèrement sur les flancs au sud-est pour rejoindre la vallée des Allues et la station de Méribel. Nous intégrons rapidement le circuit par le haut de la piste pour se présenter en finale main gauche sur l’altiport Robert Merloz (LFKX) situé à 1717 m d’altitude. Nous posons près de la tour, plus en service, pour embarquer un second passager, un ami de Kévin, et lui faire profiter aussi de notre vol à venir. Nous venons de faire 48 km en 13 minutes du décollage réel à l’atterrissage avec plus de 1600 m d’ascension.
1ère Partie du Vol en haute montagne : Méribel – Chamonix – Saint Jean d’Arves : 47 mn – 195 km
Nous redécollons pour rapidement prendre au 015 vers le massif du Beaufortain. En quelques minutes nous survolons la célèbre Pierra-Menta sur la crête sommitale du massif en admirant le beau lac du barrage de Roselend en contrebas sur la gauche.
La vallée des Contamines est vite atteinte et descendue pour entrer dans le massif du Mont-Blanc par son versant sud-Ouest au niveau du Glacier de Bionnassay avec les refuges de Tête Rousse et du Goûter sur notre droite. Nous sommes vers les 9000 pieds.
Nous remontons la vallée de Chamonix en survolant le Glacier des Bossons et le Plan de l’Aiguille avec l’Aiguille du midi bien nette à nos 3 heures. Le spectacle est grandiose. Il y a cependant beaucoup de monde dans les parages sur la fréquence montagne 130 Mhz : plusieurs hélicos en travail aérien et secours, une patrouille de 3 appareils civils et des vols privés ont lieu alors que nous sommes pourtant en semaine ! Kévin décide de ne pas rentrer dans le cœur du massif avec ce trafic.
Nous continuons de remonter la vallée en passant au-dessus de la gare du Montenvers puis travers la Mer de Glace, les Drus et l’Aiguille verte. Nous sommes à 9680 pieds, soit à près de 3000 m et en prenons plein les yeux malgré notre bonne connaissance des lieux.
Le Glacier d’Argentière sera notre point tournant avec un 180 degrés main gauche vers les Aiguilles Rouges. Nous redescendons la vallée de Chamonix sur sa rive droite avec une vue à couper le souffle sur l’ensemble du Massif du Mont Blanc.
L’aiguille du Brévent passée, nous rejoignons le Beaufortain par le Col du Joly au-dessus des Contamines. Le lac de Roselend et son barrage sont sur notre gauche au-dessus de Beaufort. Nous entendons un avion militaire de transport Transall s’annoncer à la radio dans le secteur à basse altitude. Je le localise en contrebas et réussi à le photographier pendant que nous le suivons quelques instants avant que nos routes divergent. La sortie du massif par le sud nous ramène en Tarentaise vers Aigueblanche avec la station de Valmorel juste en face.
Cap toujours au sud, nous remontons la vallée de Belleville puis celle des Encombres pour déboucher au col éponyme dans la vallée de la Maurienne entre St Michel et Saint Jean. Kévin décide de prendre au sud-ouest vers la vallée de l’Arvan pour rejoindre le massif de l’Oisans à son début à l’Est du massif des Grandes Rousses où se situe l’Alpe d’Huez.
Le cadre est toujours sublime avec les 3 Aiguilles d’Arves sur notre gauche quand nous abordons la station d’Albiez puis celle de Saint Jean d’Arves où 6 ans plus tôt nous faisions ensemble une mission de débardage de poteaux en Ecureuil B3 (Voir l’article). Le site exact se présente même un peu par hasard juste devant nous. Moins de 2 minutes plus tard, le col des Près Nouveaux (2292m) marque la frontière Maurienne – Oisans et la fin de cette première moitié de vol.
2ème Partie du Vol en haute montagne : Oisans – La Meije – Iseran – Albertville : 48 mn – 190 km
Nous sommes en Oisans et en Isère avec le Lac du Chambon au pied de la station des Deux Alpes et virons à gauche dans la vallée de la Romanche qui remonte vers La grave et le col du Lautaret en direction de Briançon.
Rapidement nous prenons près de 1000 m d’altitude pour grimper en oblique vers le Glacier de la Girose au sommet duquel culmine le domaine de la Grave et ses réputés Vallons de la Meije. La gare sommitale du téléphérique au Col des Ruillands (3211m) atteinte, nous redescendons vers la vallée en admirant le Râteau (3809m) et le majestueux Pic de la Meije (3983m).
Le Col du Lautaret, ouvert toute l’année, est ensuite vite atteint à plus de 130 kt, avant que nous bifurquions à gauche vers le célèbre Col du Galibier pour remonter vers le nord. Ce col hors catégorie pour les cyclistes, avec ses 2642 m, n’est ouvert que 5 mois à partir de juin. Nous devinons néanmoins la route du versant sud et après seulement 1mn30, débouchons, une fois la crête franchie, en Maurienne dans le secteur des stations de Valloire et Valmeinier. Cette dernière passés, notre route se poursuit à vitesse soutenue vers la Haute Maurienne avec un survol de Modane et des stations d’Aussois et Val Cenis.
Dans le secteur sud du domaine skiable de Lanslebourg apparait le Lac du Mont Cenis encore à moitié en glace avec son col frontalier enneigé et bien sûr fermé.
Nous entamons une importante prise d’altitude pour gagner le fond de la vallée situé au niveau du très beau village authentique de Bonneval-sur-Arc (1800m). Nous devons franchir le Col de l’Iseran situé au nord dans le parc national de la Vanoise à 2764m en respectant une hauteur sol de 3300 ft minimum. Cela donne 2764/0.3048 + 3300 = 12 370 ft mini. Avec un peu de marge et grâce aux performances de l’Aw109, encore plus léger d’environ 300 kg, nous franchirons le plus col d’Europe à un peu plus de 12800 ft dans un ciel magique sans un souffle d’air, sans aucune vibration et dans un cadre des plus exceptionnels : Les Alpes à perte de vue sur plus de 150 km à la ronde avec les plus hauts sommets de Suisse, d’Italie et de France.
Une fois au-dessus de Val d’Isère, notre route part sur la gauche vers le glacier de Tignes et la Grande Casse (3855m) pour rejoindre Champagny en Vanoise et la vallée de Bozel au-dessus de laquelle se trouve le domaine de Courchevel. L’altimètre n’indique plus que 8500 pieds et notre route repasse par Moutiers et la vallée de la Tarentaise. Notre retour au terrain se fait dans les règles avec verticale et vent arrière après 1h48mm et plus de 430 km. Quel vol incroyable et inoubliable !
Un grand merci à Kévin Mormann et à la direction du SAF pour m’avoir permis ce vol et reportage.
Epilogue : Avec le Trekker, L’étonnant retour du Aw109 !
La nouvelle a fortement étonné à l’annonce par le SAF de l’acquisition d’un Aw109 pour une base SMURH :
- Outre l’infidélité faite à Airbus, son fournisseur emblématique depuis 40 ans, l’investissement lié à l’introduction d’un appareil inédit d’une nouvelle marque est apparu osé. Cela génère en effet des coûts très importants pour la formation d’instructeurs, de pilotes et de mécaniciens.
- Mais, c’est le choix d’un appareil qui n’est plus plébiscité dans le milieu de l’évacuation sanitaire depuis longtemps qui a le plus surpris : Il y avait 8 exemplaires Aw109 EMS en service en France en 2014, soit 20 % des appareils. Plus aucun n’est en service en SAMU en France depuis fin 2020.
Attention, nous parlons la du Aw109 S Grand ou SP à 3 roues rentrantes que tout le monde connait. Il a été abandonné il y a plusieurs années de la liste des appareils dans les appels d’offre pour plusieurs raisons : Le volume de son cargo restreint, sa charge d’emport insuffisante avec l’arrivée de l’assistant de vol obligatoire et ses roues qui lui interdisaient des missions primaires sur terrains naturels accidentés ou meubles.
Le A109 a été développé avec son train rentrant à roues et a été principalement produit comme cela depuis 45 ans. Il y a bien eu des versions spécifiques à patins à partir de 1983, mais étonnamment, Agusta Westland puis Léonardo ont gardé pour le sanitaire les roues pour la version E à cabine élargie de 1996, pour l’A109S Grand de 2005 à cabine allongée et pour son successeur, le SP.
Ce n’est qu’en 2016 que la nouvelle version Trekker à train fixe basé sur le S Grand a fait son premier vol. Et ce n’est qu’en 2018-2019 que le constructeur italien a réellement commencé la promotion de son nouveau classe 3 tonnes après le développement d’un aménagement optimisé du cargo EMS. Cela permet 3 places assises derrière + un brancard pivotant innovant avec un argument de poids : Le poids à vide justement, qui a pu chuter de 150 kg et permet des performances et une capacité d’emport supérieures à celles de son concurrent direct, le H135.
Au SAF, en 2019, il y a quelqu’un qui a très vite compris qu’avec le Trekker, le Aw109 revenait avec de nouveaux arguments pertinents sur le marché des hélicoptères sanitaires : C’est Tristan Serretta, le PDG. Et quand est paru le cahier des charges de l’appel d’offre pour le renouvellement de contrat du SAMU de Rouen avec sa contrainte de 3 places assises à l’arrière et son budget serré, il a fait le pari de proposer un Trekker et a remporté le contrat devant ses concurrents habituels, MBH et Babcock France qui proposaient tous les 2 un H145, soit un D2 neuf hors budget, soit un C2 trop vieux.
Entretien avec Christophe Letouq, chef de base du SMURH de Rouen
Le F-HVIK a été mis en service début juillet 2021 en remplacement d’un EC135 T2+. Christophe Letouq, le chef de base du SMURH de Rouen est donc le mieux placé pour me parler du Trekker. Ancien pilote militaire avec 37 ans de carrière, il m’avoue en préambule que lorsque le SAF a proposé le 109, ni lui ni ses collègues n’en voulait. Ils savaient le SP à roues dépassé et ne croyaient pas vraiment aux nouvelles caractéristiques sur le papier de cette énième version de l’appareil italien.
Une fois qu’il a pu, dubitatif, vraiment essayer l’appareil et passer sa qualification dessus, son avis a commencé à changer. Mais c’est surtout dès les premières missions en situation que les 3 pilotes de la base normande ont été conquis, tout comme les équipes médicales.
” On est finalement très content. On a dû s’adapter et revoir pas mal de chose dans nos modes opératoires, mais avec le 109, on gagne sur tous les tableaux par rapport à un T2+ et même un T3 “
Le Trekker avec seulement 2100 kg de masse à vide propose 1075 kg de charge d’emport interne. C’est 200 kg de plus qu’un H135 T2+ qui lui ne propose que 2 places assises derrière et donc ne répond pas à la demande croissante d’avoir 3 places dans le cargo. (Un médecin, un infirmier et un brancardier)
” Le Trekker croise sans problème à 135 kt chargé, soit un bon 10 kt de plus et consomme environ 20 kg de kérosène en moins à l’heure, soit autour de 8%. Il a donc un rayon d’action bien supérieur. Cela nous permet de partir avec 460 kg de carburant le matin en enchaînant 2 heures de missions sans refiouler, d’autant qu’il n’y a pas de pompe à la DZ de l’hôpital “. (La base vie et technique est à l’aéroport de Rouen-Boos).
Christophe me précise qu’à la 1ère mission du matin, 2 passagers sont en général pris derrière, puis trois sont alors possible ensuite. Pour les médecins, pouvoir enchaîner 2 missions ou plus d’affilée est un atout d’efficacité qui peut être vital, en cas d’AVC par exemple. L’équipe a aussi pu adapter ses pratiques grâce à l’équipement à bord comme le nouveau matelas brancard. Sa qualité permet de ne pas systématiquement prendre de matelas coquille et donc de gagner de la place et du poids.
” Côté perfos pures, le 109 décolle sans problème à masse max hors effet de sol, ce que ne peut le H135 T2+. Sa voilure et sa BTP encaisse mieux les besoins de couple rapide. Son confort est meilleur, d’autant avec un patient avec une prise en charge très technique “.
Côtés points négatifs, le Trekker dispose bien d’une batterie insuffisamment puissante en cas de petits trajets. Le recours au booster est fréquent. Ses Gyroscopes de nouvelles génération (laser) sont trop longs à caler. Le repassage à la version mécanique a été demandé. Son pic vibratoire marqué en phase d’atterrissage entre 30 et 10 nœuds nécessite de revoir son pilotage en arrivant plus rapidement plus longtemps autour des 40 kts et en réduisant plus nettement à la fin. Son pilote automatique n’est pas très performant, mais étant plus lent à réagir, a cependant le mérite plus doux.
Le chef de base m’avoue que le Trekker convient même mieux qu’un H145 C2 pour un usage en SMURH : ” il est plus adapté au vols et posés urbains par son souffle moins puissant et son format plus compact, vole plus vite, consomme moins et coûte moins cher “. Il trouve que c’est un excellent compromis pour des petits et moyens SMURH et n’hésite pas à le faire savoir à ses collègues d’autres bases. Merci Christophe pour cet échange très instructif.
Verra-t-on donc bientôt voler des Trekker du SAF dans d’autres régions françaises ?
Ou le F-HVIK n’aura-t-il été qu’un moyen de pression sur Airbus pour les commandes de H145 qui ont suivies ?
Les autres opérateurs le proposeront ils aussi ?
Les résultats des appels d’offres de 2022 répondrons probablement à ces questions.
Patrick